Ma fascination pour l’ombre

L’ombre

L’ombre m’inspire.

Je la vois partout, dans chaque coin de rue, derrière les mouvements, devant moi, dans les peintures, sur les murs, dans une flaque d’eau,… Sous le bleu d’Azur ou un ciel chargé, sous les lampadaires ou un ciel étoilé. Elle me suit partout.

Je la trouve belle et beaucoup plus fascinante qu’un corps figé.

Selon la source de lumière, elle est visible, nette, floue, transparente, invisible, rose, noire, verte, bleue, grande, immense, minuscule voire inexistante.

Parfois elle bouge, danse, vibre, s’arrête, parfois elles s’immobile moins d’une seconde pour repartir en pirouette, sans avertir.

Alors, j’essaie de la capter.

En l’observant, en la photographiant, en la dessinant. C’est en la dessinant que j’ai commencé à me poser mille et une questions sur elle.

L’autre jour, devant une ombre indomptable, je me suis demandé comment définir toutes ses facettes. En partant des définitions du dictionnaire Larousse, j’ai suivi les traces culturelles pour comprendre ma fascination pour l’ombre.

Ombre (nom féminin) nom latin umbra :

1. Zone sombre résultant de l’interception de la lumière ou de l’absence de lumière

2. Silhouette sombre, plus ou moins déformée, que projette sur une surface un corps qui intercepte la lumière.

3. Forme sombre qui apparaît sur une surface faisant un écran à demi transparent, interceptant la lumière.

4. Tache, zone sombre sur un fond plus clair.

5. Forme indécise de quelqu’un que l’on voit à peine dans une demi-obscurité.

6. Très petite quantité de quelque chose, trace, soupçon.

7. Produit cosmétique coloré destiné au maquillage des paupières.

8. Personne défunte, qu’on se représentait comme une espèce de fantôme, sans réalité matérielle.

9. Image onirique caractérisée par un attribut noir et qui, selon C.G. Jung*, représenterait tout ce qui a été écarté de la conscience comme incompatible avec le moi.

*Carl Gustav Jung (1875-1961) : médecin psychiatre suisse fondateur de la psychologie analytique. Ancien disciple de Sigmund Freud, penseur influent auteur de nombreux ouvrage mêlant réflexions métapsychologiques et pratiques liées à la cure analytique.

Larousse ne lésine pas sur les définitions de l’ombre. Ci-dessus ont en effet été retranscrites les définitions exactes de la célèbre maison d’édition française. On peut d’ores et déjà les classer selon plusieurs catégories.

Les trois premières définitions (on peut également plus ou moins y inclure la quatrième) représentent la définition scientifique du terme. On y comprend qu’une ombre est une silhouette sans épaisseur matérialisée par l’interposition d’un objet opaque entre une source lumineuse et la surface sur laquelle se réfléchit ladite lumière. Les cinquième et sixième définitions du Larousse (la quatrième peut aussi en faire partie) sont des cas de figure plus abstraits, où l’ombre n’a pas de sens strict mais figuratif. Enfin, les trois dernières définitions sont des cas particuliers où le terme d’ombre désigne quelque chose de précis et distinct du terme de base.

Il s’agit de ce genre de mots que la langue française adore recycler, car il peut être imagé à de multiples desseins. Ainsi, on peut donc se maquiller avec de l’ombre (celle-là d’ailleurs je ne l’avais jamais entendue). Dans certaines mythologies, les ombres représentent les âmes perdues ou les fantômes. Et même d’un point de vue médicale, l’ombre est employée pour mettre un mot simple sur la partie de la conscience qui a été perdue.

Tant de significations et dérivations pour un seul mot. En même temps, peu étonnant vu qu’il s’agit de quelque chose qui fascine notre espèce depuis la nuit des temps.

Historiquement, l’être humain utilise l’ombre depuis l’Antiquité à différentes fins, comme la détermination de l’heure avec le cadran solaire. Les architectes des anciennes civilisations cherchaient déjà à augmenter ou diminuer les zones d’ombres selon les pièces des habitations, et plus globalement des cités antiques. Cela permettait un certain confort et une régulation des températures (par exemple les rues étroites dans les cités méditerranéennes favorisent la fraîcheur). Même avant cela, aux prémices de l’agriculture et aux époques nomades, l’entretien des haies ou des arbres aidaient les troupeaux à se protéger de l’ardeur du soleil.

Dans beaucoup de cultures, l’ombre est comme un double de notre propre corps, elle est le liant entre le corps et l’âme. Elle représente la partie sombre de chacun, lourde de toutes nos angoisses. Les chrétiens parlent des enfers mais beaucoup d’autre qualifient le pays de la mort de royaume des ombres. De nombreux peuples lui ont même attribué certaines superstitions : il ne faut pas marcher sur l’ombre d’autrui, ni jouer avec quel qu’ombre. Elle ne représente pas l’âme à proprement parler, elle lui est liée.

L’ombre occupe également une place importante dans le domaine artistique. Du peintre jouant avec celles-ci au cinéaste contrastant ombre et lumière pour amener le spectateur vers différentes émotions. Cela fait déjà plus de trois mille ans que les conteurs d’histoires asiatiques utilisent un brasier pour projeter leurs personnages sur une toile ou mur, les fameuses « ombres chinoises ». Ces dernières se sont propagées à travers l’Asie, le Moyen-Orient puis enfin l’Europe au fil des siècles. C’est d’ailleurs assez récent dans nos contrées. Au XVIIIe, les « théâtres d’ombres » acquièrent une place dans la Cour du Roi, devenant ainsi une forme d’art très prisée par la monarchie. De nos jours encore, le « shadow art » fait partie des premières lignes de l’art contemporain, non sans riche progrès.

Dans le domaine religieux, on peut noter comme référence principale à l’ombre la notion de ténèbres. Les ténèbres (toujours utilisé au pluriel) sont une croyance religieuse présente dans quasiment tout type de religions ou schémas spirituels. Ils désignent la mort, le néant, l’âme privé de Dieu ou de sa grâce.

Ainsi chez les chrétiens, un parallèle peut être fait entre les ténèbres et l’Enfer, tout comme entre la lumière et le Paradis. Cette notion binaire n’existe pas que dans la Bible. Cela découle d’ailleurs des paganisme grecs et romains, qui avaient leur dieu suprême dans les Cieux (Zeus et Jupiter) ainsi que dans les Enfers (Hadès et Pluton). La culture chrétienne a parfait cet idéal d’opposition entre ombre et lumière à travers le temps, c’est de là que vient par exemple le couvre-feu mis en place dans les cités du Moyen-Âge en Europe, la nuit on risquait de croiser la route de démons sortis tout droit des tréfonds de la Terre. Globalement, les ténèbres représentent la peur de l’absence de Dieu.

Chez les musulmans, le Jour de la Résurrection donne une place importante à l’ombre. En effet, il s’agit du jour où chaque homme et femme sera jugé pour ses actes commis de son vivant. Tous nus et suffoquant sous le soleil, tous souffrant de la chaleur proportionnellement à leurs péchés. Allah en accueillera alors sept sous son Ombre, les sept plus méritants, les plus fidèles au Tout-Puissant. On peut noter dans l’islam le fait qu’à la fin, lorsque tout le monde souffre, Allah offre son ombre en récompense à ses sujets. Une touche de positif liée à l’ombre dans la religion, ce n’est pas commun. Les musulmans ont toutefois plus ou moins la même notion d’Enfer et de Paradis, à la différence près qu’un seul péché prévaut sur tous les autres : ceux qui vont en Enfer sont les non croyants.

Chez les hindous, l’ombre est représentée par Châyâ, une des quatre épouses de Sūrya, le dieu soleil. Elle est opposée à Prabhâ, autre épouse de Sūrya, qui symbolise la lumière. L’hindouisme accorde une grande place à ses dieux principaux, mais pas à leurs épouses, tristement. Mes connaissances sur l’hindouisme sont limitées et je n’ai pas trouvé assez d’informations concernant Châyâ pour développer le sujet. Il faudrait donc aller enquêter sur place. Quelle bonne raison pour retourner en Asie !

co-écrit avec Johann Cassou-Heisler

https://www.instagram.com/yo_cashei/

Sources :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Carl_Gustav_Jung

https://www.techno-science.net/glossaire-definition/Ombre.html

https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/ombre/55933

https://www.universalis.fr/encyclopedie/ombre/

https://fr.wikipedia.org/wiki/T%C3%A9n%C3%A8bres_(croyance)

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https://www.islamweb.net/fr/women/article/193120/Les-sept-qui-seront-sous-l%C3%A2%E2%82%AC%E2%84%A2ombre-d%C3%A2%E2%82%AC%E2%84%A2Allah-le-Tout-Puissant-%C3%A2%E2%82%AC%E2%80%9C-I

https://fr.wikipedia.org/wiki/S%C5%ABrya

https://thumbs.dreamstime.com/b/cadran-solaire-romain-antique-la-photo-%C3%A9tait-l-espagne-rentr%C3%A9e-dans-ville-de-tarragone-montre-le-140596760.jpg

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