S’amuser en jonglant avec les langues

Le haïku est un poème court composé de 17 syllabes réparties en trois vers de 5, 7 et 5 syllabes respectivement. Cet art provenant du Japon, est utilisé pour décrire la nature et les émotions ou sentiments. Le tout doit être écrit au présent et peut rimer, mais pas forcément.

On peut alors se demander, un haïku est-il traduisible ? La réponse simple est « oui, bien sûr, comme tout texte », mais le haïku étant souvent basé sur des jeux de mots ou des références culturelles spécifiques comme le font les Japonais, l’exercice peut se révéler bien plus difficile que prévu. Le haïku peut également perdre de sa musicalité si on le traduit, perdre son rythme.

Alors, faut-il traduire les haïkus ? Encore une fois la réponse sera objective, car tout dépend de la personne qui écrit le haïku (« l’haijin·e ») et de ce qu’elle veut transmettre.

Certains haïkus sont considérés comme personnels, car ils reflètent les sentiments et observations de de l’haijin·e. D’autres sont plus universaux, parlant de la nature, des saisons, de la météo… Peu importe le cas, le haïku est une manière de capturer une contemplation de la vie. Alors les traduire et réussir à transmettre le même sentiment parait difficile. Cependant, pourquoi ne pas essayer ?

Comme j’aime m’amuser avec les langues et les mots, je tente l’expérience. J’utilise un de mes haïkus rédigé en langue française lors d’une promenade en bord de mer. D’abord, je l’auto-traduis vers l’allemand, ma langue maternelle, sans tenir compte des syllabes. Vu la simplicité du vocabulaire, c’est simple pour moi. Je traduis des textes bien plus difficile que cela. Cela se corse quand je m’attaque à la réécriture pour respecter les contraintes syllabiques (5-7-5) des haïkus. En jonglant plus que d’habitude, je ponds finalement un haïku allemand qui reflète le sens de mon haïku français. Un haïku en allemand. Certes. Il respecte les règles de la traduction. Oui, oui. Et les règles des haïkus. J’ai bien compté les syllabes. Toutefois, à ma surprise, cette auto-traduction ne reflète pas mon propre style en allemand. Je n’aurais jamais rédigé un haïku de cette manière. Je le sais sans pouvoir expliquer pourquoi.

Alors, est-ce un problème ? Le fait de ne pas reconnaître mon propre style dans une de mes auto-traductions ? Je décide que non. C’est plutôt intéressant.

Du coup, j’ai une autre idée : et si je retraduisais mon auto-traduction allemande vers le français pour voir si je retrouve mon haïku initial ? Go ! Je fais semblant de ne pas connaître mon haïku initial et procède de la même manière qu’avant : traduction sans compter les syllabes, réécriture sous la contrainte haïku (5-7-5). Je jongle, laisse poser, jongle encore une fois et vois que seule la dernière ligne des deux haïkus français est identique.

Haïku rédigé en françaisHaïku auto-traduit en allemandHaïku auto-retraduit en français

Tu portes ta robe bleue
Reflètes le sourire du ciel
Et danses comme l’été  
1er jet)
Du trägst dein blaues Kleid
Spiegelst das Lächeln des Himmels wider
Und tanzt wie der Sommer
 
 
Oh dein blaues Kleid
Strahlt im Lächeln des Himmels
Tanzt wie der Sommer
1er jet)
Oh ta robe bleue
Rayonne sous le sourire du ciel
Danse comme l’été
  Oh ta robe bleue Rayonne
sous le chant du ciel
Et danse comme l’été

Cela m’intrigue alors je retente l’expérience avec un autre haïku rédigé cet hiver, également lors d’une promenade en bord de mer. Même procédure. Pas tout à fait le même résultat. Cette fois-ci, les deux haïkus sont presque identiques – la seule différence se trouve à la fin du premier vers : « s’allume » est remplacé par « rayonne ».

Haïku rédigé en françaisHaïku auto-traduit en allemandHaïku auto-retraduit en français

Le ciel gris s’allume
Caresse les cœurs fatigués
Et nos joues rougissent  
1er jet)
Der graue Himmel entfacht
Streichelt die müden Herzen
Und unsere Wangen werden rot
 
 
Das Himmelgrau strahlt
Streichelt die müden Herzen
Wangen werden rot  
1er jet)
Le gris du ciel rayonne
Caresse les cœurs fatigués
Des joues rougissent
  Le ciel gris rayonne
Caresse les cœurs fatigués
Et les joues rougissent

Alors, est-ce un problème ? Le fait de ne pas entièrement retrouver la même terminologie ? Je décide que non car je ressens la même chose à la lecture des deux haïkus français. Et c’est ça qui est le plus important, non ?